Compte rendu de la matinée réalisé par Brigitte Doucet, Regional-IT.
Depuis de nombreuses années, FuturoCité joue le rôle de référent wallon en matière de Smart City et de Smart Region. A ce titre, le centre de compétences aide les acteurs publics locaux, supra-locaux, provinciaux et régionaux à mieux identifier, exploiter et mettre en pratique les données dont ils disposent – ou pourraient disposer – et ce, afin d’améliorer, d’enrichir, d’élargir et de diversifier les services à la population et, en amont, les processus internes sur lesquels repose leur fonctionnement.
Pour remplir sa mission, FuturoCité déploie une série d’activités axées autour de la culture de la donnée (en particulier la donnée ouverte). Son séminaire annuel Smart Gouvernance en est l’un des leviers essentiels.
De plus en plus, dans les esprits et dans les actes, la conviction gagne du terrain que la donnée est une indispensable ressource pour les administrations et les services publics afin de remplir pleinement et efficacement leur rôle. Et ce, même si des efforts de conviction doivent encore être fournis et des progrès accomplis.
On le constate, de plus en plus de collectivités, de villes et communes de toutes tailles, d’intercommunales et d’acteurs supra-locaux mettent en œuvre des projets articulés autour de leurs données. L’édition 2023 du séminaire Smart Gouvernance de FuturoCité l’a encore démontré, exemples à l’appui comme vous pourrez le lire plus loin.
Cette année, l’accent a plus particulièrement été mis sur les potentiels, opportunités et implications du recours aux mécanismes et solutions d’intelligence artificielle (IA) par les services publics.
L’IA, une prédatrice pour les métiers, l’emploi, le rôle de l’humain, ou, au contraire, un allié utile, voire précieux ?
Un Décret qui va mieux encadrer les démarches
Au-delà des initiatives prises pour lancer de nouveaux projets basés sur la donnée ou pour en faire progresser d’autres et bâtir une réelle politique numérique, le concept d’open data au service des territoires a connu une nouvelle avancée – très attendue – fin 2022 à la faveur de l’adoption par le Parlement wallon du Décret relatif à la diffusion et à la réutilisation des informations du secteur public.
Ce Décret transpose la directive européenne UE 2019/2014 et encadre la réutilisation des informations détenues par le secteur public. Objectif : permettre aux personnes physiques et morales d’exploiter et de réutiliser les données détenues par les autorités publiques à diverses fins (recherche, exploitation commerciale, développement d’applications, projets d’innovation…).
L’arrêté d’exécution du Décret est actuellement en préparation.
Liens vers les documents
Tel qu’imaginé (et encore sujet à examen et adoption en ce début d’automne 2023), l’arrêté d’exécution du Décret “Open Data” prévoit une série de mesures. En voici les principaux éléments :
- désignation, dans chaque administration, d’un “correspondant open data”
- création et alimentation d’un catalogue régional de données – avec, plus particulièrement, disponibilité des métadonnées relatives à ces données (description des jeux de données) pour les besoins des administrations ; “l’objectif de ce catalogue centralisé sera, au-delà de l’évitement de duplicatas et doubles encodages, de faire émerger des pistes d’amélioration des processus administratifs, voire de la stratégie numérique des organismes publics”, soulignait Olivier Lefèvre (expert open data pour l’AdN)
- diffusion et mise à disposition des informations en format ouvert, lisible par machine (ordinateur), notamment au travers d’API
- la Région wallonne créera un groupe de travail (task force) piloté par l’AdN et le SPW Digital ; ce groupe de travail aura pour rôle d’assurer la gestion opérationnelle et la gouvernance du portail ODWB (Open Data Wallonie Bruxelles), de promouvoir la mise en œuvre de la politique open data par les organismes publics, de définir les normes techniques d’interopérabilité et de faire respecter les obligations légales.
Le retard mis à adopter définitivement et à faire rentrer dans les réflexes du quotidien le Décret open data transposant en droit local la Directive européenne a sensiblement freiné nombre d’acteurs locaux qui hésitent à se lancer dans l’exercice sans cadre légal clair. Désormais, les acteurs publics auront l’obligation de publier leurs jeux de données ouvertes dans le catalogue et dès lors sur le portail ODWB.
Certes, aucune sanction n’y est encore attachée mais, rappelle Olivier Lefèvre, “les entreprises et les citoyens auront la possibilité d’aller en justice s’ils constatent que certaines données ne sont pas à disposition.” Un incitant sans doute tout aussi puissant que le risque d’une sanction, financière ou autre…
Olivier Lefèvre, défenseur et promoteur des open data depuis longtemps, insiste par ailleurs sur le fait que l’arrivée du Décret n’est qu’un premier pas. La Wallonie est en retard, en matière d’open data publiques et de leur mise en œuvre. A ses yeux, le Décret constitue le socle indispensable “afin de se préparer à aller plus loin” et suivre le mouvement de fond impulsé par l’Europe, au travers, notamment, des Digital Acts.
En attendant que les modalités d’exécution du Décret soient entérinées, comment s’assurer que les acteurs qui se lancent dès à présent dans des projets open data adoptent une démarche et déploient des solutions qui soient en adéquation avec le futur cadre légal ? Question à laquelle Abderrahim Chafik du SPW Digital répondait ceci : “il s’agit de travailler sur des cas d’usage simples et s’inscrire dans une démarche structurée – qui est le porteur de projet, qui est le financeur, quels sont les relais, les circuits d’échanges de données ? Il faut définir une réelle stratégie.
Au-delà de la question de l’acculturation, il s’agit de bien évaluer et analyser les choix technologiques en fonction du contexte de déploiement et de valider la réelle plus-value.”
Abderrahim Chafik (SPW Digital) : “Au-delà de la question de l’acculturation, il s’agit de bien évaluer et analyser les choix technologiques en fonction du contexte de déploiement et de valider la réelle plus-value.”
Un Décret, c’est bien. Reste à passer à l’action
Une fois passée l’étape de l’Arrêté d’exécution du Décret, la Région mettra en œuvre une série de mesures pour concrétiser une réelle stratégie open data sur le terrain. Une stratégie qui s’appuie sur trois mots d’ordre : mutualisation, communication, pragmatisme.
La mutualisation concerne la volonté exprimée que tout projet de mise à disposition et d’exploitation par les acteurs publics de jeux de données publiques ouvertes puisse être reproduit, imité, mis en œuvre (moyennant d’éventuelles adaptations aux spécificités de chacun) par leurs homologues.
Une condition sine qua non pour autoriser cette reproductibilité et réutilisation, cette mutualisation des démarches, des processus et des outils, est la transparence des efforts consentis par le service public qui en fut l’initiateur et le partage des bonnes pratiques. Il s’agira donc de (bien) communiquer, de faire connaître et de coordonner les initiatives.
Quid du “pragmatisme” que la Région dit vouloir pratiquer ? Olivier Lefèvre propose deux démarches à privilégier : d’une part, “travailler avec les opérateurs et éditeurs déjà positionnés sur un champ d’action” (histoire de ne pas réinventer inutilement la roue) et, d’autre part, “débuter par des cas concrets d’usages, des usages demandés par les citoyens ou autres acteurs du territoire”, plutôt que de se perdre dans des projets ayant moins d’intérêt immédiat. Sans oublier de s’inspirer de réalisations existantes, chez nous ou à l’étranger.
C’est dans cet esprit que les pilotes de la stratégie open data wallonne poursuivront selon une démarche de groupes de travail thématiques, constitués d’acteurs déjà actifs et ayant engrangé une certaine expérience (FuturoCité, représentants des éditeurs, des villes et communes, data owners…). Parmi les objectifs de ces groupes de travail : normaliser les jeux de données et baliser le parcours ou le processus de mise à jour au fil du temps.
Parallèlement, l’ADN se propose de développer divers outils qui viendront compléter le référentiel open data wallon afin tout à la fois de favoriser l’utilisation des donnes ouvertes, leur agrégation, et d’améliorer la qualité des données.
Qui dit données et open data, doit garder quelques conditions essentielles à l’esprit :
- qualité et fiabilité
- propriété et droits d’utilisation
- attention toute particulière aux données dites sensibles (santé, origine, opinion, religion…)
- transparence et clarté (finalité de l’utilisation, mode et modalités de traitement, algorithmes utilisés)
Source : CGI.
Des projets, tous azimuts
Lors de cette édition 2023 du séminaire Smart Gouvernance de FuturoCité, plusieurs organismes publics sont venu apporter la preuve que l’open data peut permettre des avancées et innovations – dans les processus et services proposés – dans une grande variété de domaines relevant de leurs compétences. Et que si les ressources humaines et l’appui de tous les niveaux de la hiérarchie demeurent des facteurs importants, il est possible de commencer petit, d’avancer progressivement et de mettre des choses en œuvre en s’appuyant sur des moyens modestes.
L’une des preuves en a été donnée par la Ville de Verviers qui, grâce à une équipe de deux personnes, n’ayant pas fait appel au service informatique de la ville, s’est lancée dans l’aventure de l’open data en esquissant les prémisses d’une politique données ouvertes et en sélectionnant, préparant et publiant de premiers jeux de données.
Dans cette aventure, la Ville s’est fait aider notamment par FuturoCité (via ses formations Ouvrir ma Ville).
Après un travail de fond de collecte et de normalisation des jeux de données choisis (existant au départ dans des formats disparates), la Ville a ainsi pu publier une série de données – notamment celles concernant les squares de la ville, les places et zones de stationnement, les ponts, passerelles, mobiliers urbains, distributeurs de billets, conteneurs enterrés…
D’autres villes et communes ont lancé ou poursuivi divers projets de modernisation de leurs processus et d’innovation dans diverses thématiques relevant de leurs compétences.
Mobilité
Ville de Namur
Dans le cadre du programme Start IA / Tremplin IA destiné au secteur public (Digital Wallonia 4 AI), la Ville de Namur a décidé d’exploiter diverses sources de données (données cartographiques de la ville, données générées par une scan car et autres données de mobilité – automobile et multimodale) afin de mieux comprendre l’occupation des places de parking et de stationnement en voirie et, ce faisant, d’améliorer la mobilité en zone urbaine, d’évaluer les impacts d’éventuels travaux de voirie, de planifier les aménagements futurs…
D’ores et déjà, les flux de circulation, les trajets de mobilité suivis et les degrés d’occupation des emplacements de stationnement ont fait l’objet d’une analyse et d’une représentation visuelle, afin de mieux comprendre la situation, par quartier, rue, segment de voirie, période de la journée, de la semaine, de l’année…
A terme, moyennant croisement avec d’autres jeux de données, la solution basée sur l’IA permettra d’automatiser la prévision d’occupation des places de parking.
Partenaire de ce projet : Dataroots.
Start IA est l’un des dispositifs du programme Digital Wallonia 4 AI. Le but : accompagner entreprises, acteurs publics et porteurs de projets, via un accompagnement par des experts IA, afin qu’ils identifient des opportunités (innovation, regain de compétitivité…) basées sur l’exploitation des données et sur l’IA, et favoriser la réussite de futurs projets innovants.
Tremplin IA est le dispositif prévu pour l’étape suivante : celle de l’évaluation des risques du projet IA, via le développement d’un POC (Proof of concept) et de sa faisabilité. Pendant cet accompagnement, le porteur de projet bénéficie de l’aide d’experts IA pour l’analyse de ses données, l’élaboration d’une étude de conception, la réalisation de tests de faisabilité technique, et l’évaluation de la performance d’un modèle IA.
Gestion documentaire
Le projet GEDAI (Gestion Electronique de Documents + Intelligence Artificielle) de la Ville d’Ath porte sur le développement d’un assistant intelligent pour l’identification, la catégorisation, le classement et le (pré-)traitement des demandes émanant des citoyens, qu’elles parviennent aux services municipaux par courrier ou par mail.
La classification se fera par type de demande (thématique) et en fonction des processus de traitement interne à l’administration. A terme, l’assistant IA devra être en mesure de rédiger un projet de réponse.
La mise en place de cette solution devrait par ailleurs permettre à la Ville de quantifier plus précisément la charge de travail de chaque collaborateur, par type de demande, leur éviter des tâches ennuyeuses, répétitives, exigeantes en temps, et leur permettre de se réorienter vers des tâches à plus haute “valeur ajoutée” (accueil, réflexion stratégique…).
Partenaire de ce projet : Sagacify.
Environnement
L’intercommunale BEP (Bureau Economique de la Province de Namur) s’est lancé dans un projet IA afin de gérer plus efficacement la gestion de la collecte des déchets ménagers.
Ce projet, lui aussi épaulé dans le cadre du programme Start IA/Tremplin IA, vise le développement d’un modèle IA, basé sur les données de localisation et de déplacement du parc de camions poubelle (250 d’entre eux sont déjà des camions connectés). Sur base de ces données, le service concerné sera en mesure de mieux juger de la validité des plaintes émanant de la population (déchets non collectés, tournée non effectuée…). Grâce aux données de géolocalisation, d’horodatage des passages et de vitesse de circulation des camions, une solution automatisée permettra de vérifier la pertinence et l’exactitude de la plainte et de lui donner la réponse adaptée, l’“interface” de communication avec le citoyen étant un chatbot.
Outre l’objectivation des plaintes, l’entrée en jeu de cette solution IA devrait permettre d’accélérer leur traitement et de procurer des réponses nettement plus rapides aux citoyens.
Le chatbot devrait ainsi opérer comme un assistant conversationnel, potentiellement en mesure de dialoguer avec l’auteur de la plainte. Ou, tout du moins, à générer un projet de courriel de réponse.
Partenaire de ce projet : Agilytic.
Environnement
Autre projet lié à l’environnement et au traitement des déchets, celui de Valtris, un centre de tri spécialisé dans le tri des sacs bleus pour le compte de plusieurs zones intercommunales (BEP Environnement, Namur ; inBW, Brabant wallon ; Idelux, Luxembourg ; et Tibi, région de Charleroi).
Le projet, actuellement au stade du démonstrateur (proof of concept), vise le recours à l’IA pour optimiser le tri automatisé de ces sacs (destinés à collecter les emballages plastiques et métalliques, les cartons à boissons, films plastiques… en vue de leur recyclage).
Plus de 95% du contenu de ces sacs est automatiquement identifié et classifié. Le but du projet IA est d’automatiser le contrôle d’efficacité du processus d’identification et de classification, afin de réduire encore davantage les interventions humaines et ainsi accélérer le processus.
Les algorithmes seront aux manettes pour la détection d’objets (sur base d’images de caméras), la segmentation d’image, la suppression d’arrière-plans, et la classification.
Partenaires de ce projet : l’intercommunale Tibi et Sagacify.
Mobilité et aménagement urbain
Un projet est actuellement en cours du côté de Proximus qui touche à l’aménagement du territoire et à la gestion des travaux de voirie. Ici encore, l’IA en est l’un des leviers majeurs, dans le but de faciliter et de réduire la charge de travail encore confiée à des collaborateurs. Le but : mieux organiser et rendre plus efficace l’installation d’une signalisation routière en situation de travaux de voirie.
Pour les besoins de ce projet, Proximus a recours à des jeux de données géospatiales et à des informations concernant la disposition des lieux concernés – données pouvant concerner une grande variété de paramètres (type de voirie, présence ou non de pistes cyclables, de feux de circulation, de passages pour piéton, vitesse de circulation autorisée)…
C’est pour ce dernier volet que la charge de travail que représente la collecte et la sélection pertinente des données représente la plus lourde charge de travail – en termes de temps à y consacrer. En recourant à l’IA, le but est de se servir d’algorithmes pour extraire les informations utiles parmi les masses de données dont on dispose sur les chantiers ayant déjà été réalisés, de déterminer lesquels présentent le plus de similarités avec les spécificités des nouveaux. En comparant les similarités selon une série de critères (longueur de voirie, type d’aménagement…), il deviendra possible de prévoir le meilleur schéma de signalisation des travaux.
Au-delà de cette finalité Chantiers Voirie, d’autres scénarios d’utilisation pourraient être imaginés qui s’appuieraient sur les mêmes principes : planification urbaine, optimisation de l’offre de transports publics, planification des réponses des services d’urgence en cas d’incident ou de crise…
Aide à la décision
Du côté de la province de Liège, l’intercommunale SPI a développé la plate-forme Mind It qui vise à “accompagner les collectivités, les supra-communalités dans leurs décisions et leurs réflexions”. Mind It propose divers outils (ou leviers) d’aide à la décision permettant aux acteurs publics du territoire d’avoir accès à des données, à des statistiques (agrégées ou non), à des cartes (créées via croisement de jeux de données), d’analyses, et d’études sur mesure.
En amont, les équipes assurent le traitement et la préparation, les diagnostics territoriaux, préparent ou réalisent les études d’opportunité.
Si nécessaire, pour obtenir des informations réellement pertinentes pour les acteurs publics territoriaux demandeurs, les données publiques ouvertes sont complétées en puisant à d’autres sources : données partagées, données à usage restreint, closed data.
Mind It doit ainsi permettre notamment d’alimenter les PST (plan stratégique transversal), les documents d’appels à projets des acteurs territoriaux, les rapports décisionnels à rédiger par les agents communaux…
Deux exemples venus de l’étranger
Lors de sa présentation au séminaire Smart Gouvernance 2023, CGI a cité plusieurs exemples de projets d’exploitation de données qu’elle a mis en œuvre à l’étranger.
En voici deux…
Aux Pays-Bas, le projet IBOR, destiné au Rijkswaterstaat (RWS), responsable de la gestion des autoroutes principales et du réseau national d’alimentation en eau du pays, vise à gérer à distance des “objets” situés dans l’espace public (ponts, éclairage routier, feux de signalisation, serrures…) et à favoriser une réaction rapide et sécuritaire en cas d’accidents ou de situations d’urgence. La plateforme IBOR permet ainsi d’orienter, selon les situations, les rôles des divers intervenants (agents de circulation, inspecteurs routiers, chefs de service, installateurs de signalisations routières…).
En Estonie, un système de dossiers judiciaires numériques vise à assurer une meilleure gestion de la population pénitentiaire afin de lutter contre la surpopulation et d’accélérer le processus judiciaire et de mieux valider les pièces officielles.
L’IA, prédatrice ou auxiliaire utile ?
“L’IA ne va pas vous remplacer. Ceux qui l’utilisent, peut-être.” Une expression souvent entendue et avalisée notamment (dans une interview au média Hello Work) par Adrian Chifu, enseignant-chercheur et maître de conférences en sciences de l’informatique à l’Université d’Aix-Marseille.
L’IA, grande ennemie et prédatrice de l’emploi, de l’“intermédiaire” humain ? La crainte est omniprésente. Mais comme toujours en cas de progrès technologique, la clé réside dans la manière dont on s’en sert. Et l’expérience nous apprend que l’humain sait s’adapter et s’imaginer de nouveaux rôles et de nouvelles finalités.
Il est certain que l’IA va modifier la nature de très nombreux métiers. Nicolas Installé, directeur de FuturoCité, l’exprimait comme suit : “le tout est de mieux utiliser l’IA pour des tâches moins gratifiantes pour l’humain.” Et, comme elle le fera et le fait déjà dans de nombreuses sphères professionnelles (ou autres), l’Intelligence Artificielle (qu’il faudrait d’ailleurs sans doute rebaptiser Intelligence Augmentée) va “inévitablement révolutionner les administrations et services publics”.
Une vue partagée par plusieurs acteurs et représentants de ces administrations publiques venus témoigner et échanger lors du séminaire de FuturoCité.
Eric Goffart, échevin chargé du Développement numérique à la Ville de Charleroi, prenait l’exemple des chatbots de type intelligence artificielle générative (du type ChatGPT): “Une grande majorité des tâches de l’administration consiste dans la rédaction de textes – projets de délibérations, rédaction de projets, proposition de réunion, envoi de courriers à la population… Ce sont là des tâches fastidieuses, répétitives, dont la charge de travail laisse peu de place aux initiatives créatrices et à plus haute valeur ajoutée. Le recours à des outils du type ChatGPT pourrait donc s’avérer intéressant pour l’évolution des carrières et l’amélioration des services.
L’IA doit pouvoir être considérée comme une aide afin de pouvoir consacrer plus de temps à ceux qui en ont plus besoin [du côté citoyens] en allégeant la charge de travail des tâches répétitives.”
L’administration, toutefois, est-elle prête à s’en saisir ? Qu’en est-il de l’utilisation de l’IA par les administrations et services publics ou, en amont, qu’en est-il de la perception du rôle, des potentiels et des enjeux de l’IA ?
Les membres du panel organisé lors de son séminaire par FuturoCité (panel composé d’Eric Goffart de la Ville de Charleroi, Abderrahim Chafik du SPW Digital, Emilie Fockedey de DigitalWallonia4AI/Agoria et Virginie Marelli, de Dataroots) abondaient tous dans le même sens : les réflexions sont encore en cours, la maturité des fonctionnaires et la capacité d’utiliser l’IA, voire leur niveau d’intérêt ne sont pas encore tout-à-fait au rendez-vous. “Il faut d’abord évangéliser pour les intéresser à ces matières”, déclarait Eric Goffart.
Nicolas Installé (FuturoCité): “Même sans aller jusqu’à l’IA, la donnée resta toujours un sujet essentiel. Son exploitation plus approfondie restera toujours importante simplement pour moderniser les administrations publiques.”
Cette démarche de sensibilisation, d’“évangélisation” et de formation est également nécessaire au niveau des services et effectifs régionaux chargés de la mise en œuvre de la stratégie et des dispositions régionales. “Une analyse du retour sur investissement des projets Start IA et Tremplin IA est par exemple en cours”, soulignait Abderrahim Chafik. “Le constat en effet est que les procédures sont encore parfois lourdes, qu’il faut agir du côté incitation, vérifier en quoi les solutions peuvent améliorer les services offerts et assurer la maturité afin d’optimiser le contexte dans lequel la solution est appelée à être déployée.” Avec aussi un constat de manque d’expertises, “ce type de profils étant très recherchés”.
L’une des principales craintes exprimées au sujet de l’IA est que les résultats produits ne sont pas expliqués – ou explicables. Ce manque de “transparence” de l’IA fait d’ailleurs l’objet de travaux de recherche afin d’y remédier. Mais comment dès lors appréhender, apprivoiser, se positionner face à cette “boîte noire” ? La question a été posée lors du séminaire de FuturoCité.
Un élément de réponse a été donné par Virginie Marelli (Dataroots): “L’IA repose sur des mathématiques très poussées. Aucun outil ne peut donc fournir d’explication en termes humains, même si des recherches sont en cours. Expliquer la “boîte noire” demeure donc difficile aujourd’hui. Mais on peut par contre mesurer ce qui se passe. Par exemple, dans les résultats et les solutions proposées, tel quartier s’avère-t-il avoir été défavorisé à cause de la solution IA ? Il faut commencer par une évaluation des risques.”
Au programme de FuturoCité
L’action de FuturoCité, en tant que référent wallon Smart City / Smart Région, se structure et se décline en trois axes :
- Sensibilisation au travers de formations et d’événements publics
- Au rayon Formations, le programme Ouvrir ma Ville vise à accompagner les villes, communes et administrations publiques wallonnes à mettre en place une stratégie open data, dispositions du Décret open data comprises.
Le programme se décline en plusieurs modules qui s’adressent à divers publics. Le premier est destiné aux chargés de projets et les aide à mettre en place une stratégie open data ; le deuxième a des accents plus pratiques, destiné aux collaborateurs chargés de la mise en œuvre (standardisation, publication de données…). En 2023, deux nouveaux modules y seront ajoutés, visant eux aussi les modalités et exigences de mise en œuvre d’une stratégie open data (automatisation de processus de publication, valorisation de données).
En parallèle, un module reviendra sur les fondamentaux, afin d’évangéliser les concepts et pratiques open data auprès des décideurs (politiques, directeurs généraux, chefs de service) non encore “convertis” (introduction à la donnée, à la législation, aux enjeux et aux stratégies).
- Au rayon Formations, le programme Ouvrir ma Ville vise à accompagner les villes, communes et administrations publiques wallonnes à mettre en place une stratégie open data, dispositions du Décret open data comprises.
- Opérationnalisation de la donnée
- Pour aider les responsables publics à passer à l’étape Action et déploiement, un groupe de travail se focalise sur la définition des schémas standard favorisant une réutilisation des données – et cela passe par un échange de bonnes pratiques, des partages d’expériences entre administrations (en se basant sur les projets et expériences des administrations pionnières), de la mutualisation (données, services, processus…), et une culture de co-création.
Dans ce dernier registre, sur la base du travail déjà effectué par les villes et communes les plus avancées, une série prioritaire de jeux de données se prêtant le mieux à publication ont été identifiés, permettant aux administrations de suivre un cheminement plus pertinent.
Ces 10 premiers jeux de données concernent les emplacements PMR, les stationnements vélo, les travaux de voirie, les équipements collectifs, les circuits touristiques, les marchés, les patrimoines culturels et naturels, la localisation des défibrillateurs, les aires de loisirs et les statistiques de population. - Pour identifier les jeux de données pertinents et utiles pour satisfaire leurs propres besoins et/ou ceux de leurs administrés, les services publics ont certes un rôle essentiel à jouer. Mais leur démarche peut encore être facilitée en se mettant à l’écoute des besoins exprimés.
C’est pour favoriser cette participation (citoyenne et/ou entrepreneuriale) que FuturoCité a imaginé un outil nouveau permettant de repérer et collecter des données manquant encore au catalogue. Cet “outil” prend la forme d’un challenge ludique, matérialisé par une appli mobile (Databusters).
Les “challenges”, organisés et encadrés par les administrations qui décident d’y recourir, transforment les citoyens participants en “chasseurs de données”. Leur mission : collecter des données territoriales sur un panel potentiel large de thématiques – monuments remarquables, cimetières, toilettes publiques… L’imagination doit être au pouvoir… Ces lieux ou objets sont répertoriés, décrits, photographiés, géolocalisés, documentés.
Les participants ayant “capturé” le plus grand nombre de données sont récompensés à l’issue de l’exercice par l’organisateur du défi.
- Pour aider les responsables publics à passer à l’étape Action et déploiement, un groupe de travail se focalise sur la définition des schémas standard favorisant une réutilisation des données – et cela passe par un échange de bonnes pratiques, des partages d’expériences entre administrations (en se basant sur les projets et expériences des administrations pionnières), de la mutualisation (données, services, processus…), et une culture de co-création.
- Valorisation de la donnée
- Tout l’intérêt de produire des données de qualité est de pouvoir les exploiter par après, au profit de l’administration et/ou des citoyens. Une manière de valoriser les données vers le citoyen est de les faire apparaitre dans l’application Wallonie en Poche, application portée conjointement par Letsgocity (création de l’outil et aspects techniques) et FuturoCité (choix éditoriaux, création de contenu, gestion et communication). De nombreux nouveaux services ont d’ailleurs vu récemment le jour sur cette application estampillée Smart Région.
- FuturoCité organise aussi des ateliers d’expérimentation autour de la donnée, à destination du secteur public. Deux de ces ateliers ont eu lieu l’après-midi du séminaire : un atelier visant à voir comment valoriser les données présentes dans l’administration au profit des citoyens, et un atelier pour appréhender comment les administrations peuvent se servir de l’IA dans leur travail quotidien. Les comptes-rendus de ces ateliers sont détaillés ci-après.
Compte-rendu de l’atelier L’intelligence Artificielle dans mon administration à l’heure de ChatGPT
L’atelier intitulé « L’intelligence artificielle dans l’administration à l’heure de chatGPT » a exploré les implications de l’introduction des intelligences artificielles génératives dans le travail quotidien des administrations. Les animateurs de la séance étaient Antoine Hublet et Emilie Fockedey (DW4AI), Pierre Lelong (TechnofuturTIC), Antoine Engelen (Microsoft), et Nicolas Installé (FuturoCité).
L’introduction a été assurée par Antoine Engelen de Microsoft, qui a démystifié les intelligences artificielles génératives en expliquant leur fonctionnement, les différenciant des IA classiques, et en soulignant les principes fondamentaux de Microsoft AI, notamment la conformité, la sécurité, et la propriété des données.
Il a ensuite démontré les étapes de la transformation numérique d’une administration, en mettant en avant le rôle central des données et les opportunités offertes par l’IA pour accélérer cette transformation.
Un cas d’usage concret a été présenté : la création d’un chat GPT privé pour une administration, basé sur les procédures en ligne du site web de l’administration. Un autre cas a montré comment l’outil M365 copilot pouvait être utilisé pour gérer un programme de transformation numérique.
La deuxième partie de l’atelier a encouragé la réflexion collective sur l’utilisation de l’IA en groupes de huit participants. Les participants ont réfléchi aux opportunités et aux défis que l’IA pouvait apporter à leur administration, ainsi qu’aux collaborations possibles et aux obstacles à surmonter. Ensuite, les groupes ont sélectionné trois défis pertinents et proposé des actions concrètes pour les relever.
Les actions suggérées par les groupes comprennent la sensibilisation des décideurs politiques, la formation du personnel, la création d’un cadastre des données, la réponse aux demandes des citoyens, la centralisation des données, la réalisation de preuves de concept (POC) pour démontrer les capacités de l’IA, et l’accent sur la gouvernance des données et la conformité.
Enfin, une discussion informelle a eu lieu entre les participants et les experts, abordant à la fois les préoccupations liées à l’IA et les opportunités qu’elle offre aux administrations. L’atelier a ainsi permis de dégager des pistes d’action concrètes pour intégrer l’IA de manière efficace et éthique dans le secteur public.
Compte-rendu de l’atelier Valoriser les données de mon administration au profit des citoyens
L’atelier « Valoriser les données de mon administration au profit des citoyens » a été l’occasion de discuter des différentes opportunités de valorisation des données accessibles par les administrations. L’équipe d’encadrement a débuté par une séance de présentation. Olivier Lefèvre de l’Agence du Numérique a présenté la nouvelle plateforme Open Data Wallonie-Bruxelles et ses fonctionnalités. Isabelle Rawart de l’Agence du Numérique a souligné l’importance de cet atelier dans le cadre de l’appel à projets Territoire Intelligent / Smart Région.
Michel Morrier et Marc Breuskin de CIVADIS ont ensuite abordé la vision conceptuelle des données administratives, en présentant deux exemples concrets : la cartographie des cimetières à Watermael-Boisfort et la gestion de l’occupation du domaine public à Gerpinnes.
Pierre Labalue de Letsgocity a conclu la séance de cadrage en illustrant comment les données citoyennes peuvent être intégrées dans un projet Smart City.
Une session de travail « idéation » a suivi, animée par Tiffany Andry et Valérie Janssens de FuturoCité. Les participants, répartis en groupes, ont réfléchi collectivement à des actions bénéfiques pour les citoyens, telles que le développement de services pertinents ou une communication efficace grâce aux données. Ils ont identifié des cas d’usage potentiels liés à diverses thématiques, comme la mobilité, l’énergie, le cadre de vie, l’économie, la gouvernance administrative et l’interaction avec le citoyen.
Chaque groupe a analysé les besoins des administrations liés à sa thématique et a imaginé des cas d’usage. Les données nécessaires pour ces projets ont été identifiées, ainsi que leur utilité. Parmi les idées discutées, plusieurs cas d’usage concrets ont émergé :
- « Interaction avec le citoyen » : Favoriser la collaboration entre les citoyens et la ville en recueillant des données sur les sujets d’intérêt des citoyens, les compétences nécessaires, les projets de la ville, etc.
- « Economie (commerce & tourisme) » : Créer un annuaire des acteurs économiques pour communiquer avec les citoyens, les entreprises, et attirer des investisseurs, en utilisant les données de la BCE.
- « Gouvernance administrative » : Optimiser les ressources humaines des administrations en collectant des données sur les tâches, les horaires, les effectifs, les compétences, etc., pour une meilleure gestion et planification.
- « Cadre de vie & aménagements urbains » : Centraliser l’information sur les festivités et événements gérés par les administrations, améliorant la communication et la planification d’urgence.
- « Energie et transition écologique » : Rénover les bâtiments existants en fonction de zones spécifiques, en utilisant des données sur les permis de construction, les déperditions de chaleur, etc.
- « Mobilité » : Fournir des données de mobilité spécifiques au territoire pour alimenter des applications de guidage et aider l’administration à prendre des décisions.
En fin de compte, l’atelier a mis en lumière le potentiel des données administratives pour améliorer la vie des citoyens. En conclusion, cet atelier souligne l’importance de rendre les données disponibles en Open Data pour favoriser leur réutilisation. La nouvelle plateforme Open Data permet cette ouverture.
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